21€
“Rémy et Laure partageaient le sommet de Croisse-Baulet et, si modeste qu’il fût, il faisait pour eux de cet instant un moment inoubliable. Rémy connaissait trop la force de cette communion pour y mêler les gestes minuscules de l’amour. Il sentait que son désir était partagé, que cette émotion avait la valeur d’une étreinte et que Laure, pas plus que lui, ne pourrait l’oublier. Tout devait garder son ampleur, sa grâce. Les petites effusions, les maladroites caresses humaines, dans ces décors de lumière, d’espace et de vent, sont dérisoires et même insupportables. Il fallait laisser l’esprit se mouvoir sans contraintes. Le regard était suffisant pour exprimer l’émoi et celui de Laure parlait sans ambiguïté. Ils retirèrent les peaux de phoque des skis, réglèrent les fixations pour la descente et raccourcirent les bâtons. Puis, sans se hâter, l’esprit plein d’un moment qu’il était inutile de faire durer tant il était saturé d’infini, ils s’élancèrent dans la pente.”
Jean-Christophe Rufin est voyageur, médecin, écrivain et diplomate français, membre de l’Académie française. Ancien directeur d’Action contre la faim, il a été ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie jusqu’en 2010. Comme médecin, il est l’un des pionniers du mouvement humanitaire Médecins sans frontières où il a été attiré par la personnalité de Bernard Kouchner et où il fréquentera Claude Malhuret. Jean-Christophe Rufin a consacré plus de vingt ans de sa vie à travailler dans des ONG au Nicaragua, en Afghanistan, aux Philippines, au Rwanda et dans les Balkans. Cette expérience du terrain l’a conduit à examiner le rôle des ONG dans les situations de conflit, notamment dans son premier essai Le Piège humanitaire (1986), un essai sur les enjeux politiques de l’action humanitaire et les paradoxes des mouvements “sans frontières” qui, en aidant les populations, font le jeu des dictateurs, et dans son troisième roman, Les Causes perdues (1999). Ses romans d’aventures, historiques, politiques, sont de la veine des récits des grands reporters romanciers d’autrefois — Albert Londres, Joseph Kessel, Henry de Monfreid — et des visionnaires comme George Orwell et Ray Bradbury. “J’ai été déformé dans le sens du visuel. (…) Comme le disait Kundera, il y a deux sortes d’écrivains : l’écrivain musicien et l’écrivain peintre. Moi je suis peintre. (…) Quand on écrit, soit on écoute, soit on voit. On ne peut pas faire les deux en même temps.” En 2001, Jean-Christophe Rufin obtient le Prix Goncourt avec “Rouge Brésil” après avoir obtenu le Prix Interallié, en 1999, pour “Asmara et les causes perdues” et le prix Goncourt du premier roman et le prix Méditerranée pour “L’Abyssin” en 1997. Jean-Christophe Rufin est élu à l’Académie française le 19 juin 2008 par 14 voix, contre 12 à l’écrivain et producteur Olivier Germain-Thomas, deux bulletins blancs, une croix, au fauteuil de l’écrivain Henri Troyat. En 2010, il reçoit la Plume d’Or de la Société des Auteurs Savoyards, présidée par Michel Germain, pour l’ensemble de son œuvre. “Immortelle Randonnée : Compostelle malgré moi” reçoit le Prix Nomad’s en 2013 et “Check-point”, le Prix Grand Témoin en 2015. Il préside le jury du Prix Orange du Livre depuis 2019. Pour son roman paru en 2019, “Les sept mariages d’Edgar et Ludmilla” il déclare s’être inspiré d’un épisode de sa vie. En effet, il s’est marié trois fois avec la même épouse.